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Les Dames de Faro : miser sur l’égalité

Vous voulez créer un scandale en Grande-Bretagne dans les années 1790? Suivez ce protocole simple : 

Un : soyez une aristocrate. 

Deux : faites-vous prendre à jouer!

 

Ça vous surprend? Imaginez la stupéfaction des aristocrates sophistiquées qui ont été clouées au pilori par la presse pour quelque chose d’aussi banal qu’un jeu de cartes. C’est ce qui est arrivé après la Proclamation contre le vice du roi George en 1792, interdisant le jeu partout en Grande-Bretagne. Le décret signifiait que des jeux répandus comme l’Ace of Hearts, la bassette, le Hazard et le Roly-Poly étaient soudainement illégaux. Cela comprenait aussi un jeu follement populaire appelé pharaon (Faro), qui, comme vous le verrez, est devenu à la fois un symbole d’autonomisation et une arme pour les forces du sexisme et de la discrimination.  

Alors, qu’arrivait-il si on vous prenait à jouer? Il y avait, bien sûr, des amendes, mais, encore pire pour les gens de la société victorienne soucieuse des classes, des humiliations publiques. Cependant, comme pour tous les aspects de la vie aristocratique britannique, les lois ne s’appliquaient pas aux femmes et aux hommes de manière égale. Les hommes aristocrates, membres de la royauté et politiques jouaient régulièrement jusqu’aux petites heures du matin dans des clubs privés réservés aux gentlemen partout à Londres. Pour ces hommes riches, le but n’était pas de gagner et de s’enrichir, mais plutôt de montrer à quel point perdre de l’argent leur était sans importance. 

Interdit aux femmes

La disparité entre les sexes dans le monde du jeu n’était pas seulement un résultat inconscient d’une société patriarcale, elle était vigoureusement défendue, même par les intellectuels. Selon l’auteur britannique George Hanger (1751-1824), la place d’une femme n’était certainement pas à une table de jeu tard la nuit. Dans un article, il a d’ailleurs émis l’opinion suivante :

« Peut-on s’attendre qu’une femme puisse donner à son mari une progéniture vigoureuse et en bonne santé si son esprit, nuit après nuit, est ainsi distrait [par le jeu] et si son corps est criblé d’anxiété et harassé en raison des heures tardives? »

Les dames de Faro débarquent

Bien entendu, les femmes de l’époque ne souscrivaient pas à ce raisonnement. En réponse à de telles déclarations manifestement sexistes, quelques braves dames aristocrates ont pris les choses en main en ouvrant des maisons de jeu clandestines dans leurs demeures. Le jeu de prédilection était le pharaon, ou Faro, un parent éloigné du poker qui utilise un jeu de 52 cartes, des jetons pour miser et un sabot de croupier. Le phénomène a engendré le terme « dames de Faro », qui désignait les femmes qui avaient « l’audace » de se rassembler pour jouer aux cartes, miser de l’argent, parler de politique et s’amuser loin des yeux de leur mari. Les mondaines londoniennes Lady Sarah Archer, Mrs. Sturt, Mrs. Concannon et Lady Elizabeth Luttrell comptent parmi les célèbres dames de Faro. (On en sait très peu sur elles à part leurs noms majestueux.)

L’organisation de parties de pharaon dans sa propre demeure n’était pas nécessairement une simple révolte fondée sur des principes; cela générait aussi un revenu personnel dans un monde où il était impensable (ou peut-être indésirable) que les femmes travaillent. Cela a notamment était le cas pour Lady Buckinghamshire, une aficionada notable du pharaon, qui s’est rempli les poches. Selon la légende, ses gains nécessitaient qu’elle garde des armes près de son lit pour protéger la « banque » qu’elle avait accumulée au fil du temps. 

Quelle honte!

En raison de leur violation présumée de l’ordre social, les dame de Faro ont été fustigées dans les manchettes de presque tous les grands journaux des années 1790. Elles ont été condamnées par la presse parce qu’elles jouaient, oui, mais aussi parce qu’elles menaient une double vie : le jour, elles étaient des citoyennes « respectables » obéissant à la loi, et la nuit, elles se transformaient en joueuses et fomentaient des troubles. Clairement, les rédacteurs en chef de l’époque ne se questionnaient pas sur les raisons pour lesquelles ces femmes étaient forcées de mener cette double vie en premier lieu.

Les hommes de la haute société de partout étaient outrés, et les dames de Faro sont devenues une cible de plus en plus facile pour la presse de l’époque. Les journalistes écrivaient frénétiquement sur les femmes qui jouaient et leur influence sur l’effacement des rôles bien délimités des sexes qui menaçait l’ordre social strict de l’Angleterre du xviiie siècle.

Au bout du compte, ces dames scandaleuses sont devenues intolérables pour les magistrats. Après une enquête soutenue par des preuves irréfutables qu’elles jouaient au pharaon dans la résidence de Lady Buckinghamshire, les dames de Faro ont reçu des amendes de 200 £ si elles étaient en charge d’une table et de 50 £ si elles jouaient; des sommes importantes à l’époque. C’est l’équivalent de 31 707,23 £ (ou 50 500 $ CA), et de 7 926,81 £ (ou 12 600 $ CA), respectivement aujourd’hui.

La société, selon un article publié dans The Morning Post après le verdict, était sauvée.

« La société a raison de se réjouir de la ruine complète des dames de Faro, qui ont été pendant si longtemps un affront à la nature humaine. Leurs dés ont été jetés et leurs vieux trucs ne fonctionnent plus. »

Ouvrir la voie vers un monde du jeu plus équitable

Malheureusement pour le patriarcat britannique, d’autres dés avaient été jetés : ceux qui ont libéré les femmes des structures sociales qui les empêchaient de participer à des activités « réservées aux hommes ». Les femmes se sont non seulement mises à jouer à des jeux généralement réservés aux hommes par la suite, mais elles ont également ouvert la voie vers une participation égale à la vie publique et politique.

Tout ça, à cause d’un simple jeu de cartes. 

Bien que le pharaon ait été délaissé, son cousin, le poker, a pris de l’essor, et on retrouve des femmes parmi les meilleurs joueurs. Bravo aux dames de Faro notoires, qui ont inspiré le nouveau départ nécessaire de la société.Vous voulez apprendre à jouer au poker? Découvrez tout ce qu’il y a à savoir sur le poker (et le vidéopoker) maintenant.